Bien rénover thermiquement le bâti ancien: un enjeu de revitalisation des centres-bourgs.

L'étude
L’étude “ Habitat ancien en Alsace, amélioration énergétique et préservation du patrimoine” est une démarche reproductible à différents territoires, qui peut nourrir les projets de revitalisation des petites villes. © M. Chéry.

Pour que les centres anciens soient conservés, il faut qu’ils restent habités. La lutte contre la précarité énergétique fait donc partie de la problématique de redynamisation des centres-bourgs. C’est pour cela que les architectes des bâtiments de France sont pleinement engagés pour répondre au double enjeu de réussite de la transition énergétique et de préservation du patrimoine. Le colloque « Alliances : revitalisons nos petites villes » a été l’occasion de présenter l’exemple de la démarche initiée depuis 2010 par la DRAC et la DREAL du Grand-est, ainsi que les différentes actions menées par l’ANABF sur ce thème.

Pour voir l’intégralité de l’intervention de Malory Chéry au colloque Alliances, cliquer ici

La démarche partenariale des architectes des bâtiments de France, de la Direction régionale des affaires culturelles et de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement pour bien rénover thermiquement dans le Grand-Est a démarré par l’étude « HAA, Habitat ancien en Alsace, amélioration énergétique et préservation du patrimoine » :

Le recouvrement des décors, le gonflement des dimensions, la suppression des volets battants, les enduits et toitures sans vibrations correspondent à une altération architecturale. © Malory Chéry
Le partenariat entre les deux services de l’État est issu du Grenelle de l’environnement et de la volonté de massifier les rénovations énergétiques. En effet, le bâti ancien, construit avant la seconde reconstruction, constitue un tiers du parc bâti alsacien -ce qui représente un important gisement d’économie d’énergie- et concentre un quart des ménages en situation de précarité énergétique : il doit faire l’objet d’amélioration énergétique.
La suppression des menuiseries est une perte patrimoniale. © Alice Lejeune
Mais ce bâti, âgé parfois de plusieurs siècles, est également porteur de valeurs patrimoniales et paysagères à préserver. En outre, il diffère du bâti récent par ses matériaux traditionnels qui ont un comportement hygrothermique spécifique. Ainsi, les rénovations énergétiques ne doivent pas être similaires à celles utilisées pour les constructions récentes, car certains choix techniques peuvent entraîner des pertes patrimoniales, altérer l’aspect architectural des constructions ou induire des pathologies allant jusqu’à mettre en péril les édifices.
Le non respect des caractéristiques hygrothermiques des murs anciens met en péril les structures. © Élodie Herbelé
Ce savoir des acteurs de la restauration du patrimoine est peu partagé, et les alertes des ABF sont parfois perçues comme des oppositions de principe. Souvent, pour convaincre, il faut démontrer. Alors, face aux carences de données scientifiques sur les conséquences de certains gestes courants de rénovation, les ABF, la conservation régionale des monuments historiques de la DRAC et la DREAL du Grand-Est ont souhaité mener une étude avec le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) et l’atelier d’architecture ODM, afin de mettre en évidence les erreurs à éviter, proposer des gestes de rénovation adaptés et objectiver l’analyse des projets, notamment pour sortir de la critique de la subjectivité des avis des ABF.

Une étude pluridisciplinaire approfondie menée sur quatre ans

L’étude a concerné tous les types de bâti ancien représentatifs en Alsace, de la ferme isolée à colombages à l’immeuble de ville en briques et pierres de taille. Des logements, non transformés et encore habités, ont été auscultés durant plusieurs mois. Puis, un modèle informatique de chaque type bâti a été élaboré. Sur cette sorte de maquette numérique a été testé et comparé tout un panel de solutions de rénovation énergétique, des plus courantes aux plus innovantes. Les actions ont été organisées en bouquets de travaux selon trois scénarios : le premier a favorisé toutes les interventions permettant le meilleur gain énergétique, le deuxième a ciblé les actions sur les éléments de l’enveloppe les plus déperditifs, le troisième scénario a privilégié les gestes les plus respectueux du patrimoine. Les scénarios ont été évalués selon cinq critères: le gain énergétique, la préservation du confort d’été, la diminution de l’effet de paroi froide en hiver, l’absence de risque lié à l’humidité dans les murs, le respect de l’aspect patrimonial et architectural. Ce critère a été particulièrement détaillé. Il combine à la fois l’importance de la conservation de la perception des façades et toitures anciennes, la conservation de la matière patrimoniale et sa patine, le recours privilégié aux techniques et matériaux traditionnels et la préservation de l’habitabilité des surfaces. De plus, le coûts des travaux a été estimé, tant en termes de rentabilité que de soutenabilité, et a été comparé au coût de l’inaction en euros et tonnes de CO² non émises.

Les résultats prouvent qu’il est possible de concilier performance énergétique et respect du patrimoine

L’étude révèle que le bâti ancien n’est pas le plus énergivore.

L’étude a révélé les qualités intrinsèques du bâti ancien alsacien avant rénovation: en effet, contrairement aux idées reçues, son étiquette-énergie est proche, voire au-dessus, de la moyenne nationale, ce qui représente des performances thermiques plutôt bonnes, compte tenu du climat local rigoureux ; les menuiseries ne sont pas l’élément le plus déperditif de l’enveloppe et il ne faut pas confondre les fuites d’air et la déperdition par le vitrage ; il possède un très bon confort d’été lié à sa bonne inertie, une quasi-absence de ponts thermiques et les murs sont en équilibre hygrothermique ; les espaces-tampons (caves, appentis, combles et les « Schlupf » qui sont des espaces vides d’environ 80 cm de large entre les maisons) jouent un rôle positif du point de vue thermique.

L’étude a démontré les bons résultats en termes de gains énergétiques qui peuvent être obtenus grâce aux travaux de rénovation : une amélioration énergétique importante (BBC-rénovation) peut être atteinte tout en respectant les façades, les toitures et les menuiseries. D’autres approches sont également possibles pour gagner une à deux classes d’étiquette-énergie, en favorisant d’autres critères: limiter les coûts, agir par étapes ou encore privilégier une préservation plus complète de la qualité patrimoniale et architecturale du bâti, notamment lorsqu’il est nécessaire de protéger les décors intérieurs. L’étude montre aussi que le bon entretien du bâti et la limitation des fuites d’air est déjà, en soi, une action efficace et permet de restaurer les qualités thermiques initiales du bâti.

L’étude a mis en exergue des points de vigilance : les actions de rénovation énergétique impactent le confort d’été, de manière plus ou moins importante suivant les scénarios, et compte tenu du réchauffement climatique, ce point doit conduire à beaucoup de vigilance ; le plus souvent, la pose d’un isolant thermique extérieur altère l’aspect architectural du bâti ancien et ne peut être utilisé (dans l’étude, cette solution n’a été testée que dans un cas particulier), par contre, la pose d’un enduit extérieur à capacité isolante est parfois possible et peut représenter une bonne alternative à l’isolation thermique par l’extérieur (l’ITE) ; la conservation et l’amélioration des fenêtres et portes existantes s’avèrent, du point de vue énergétique, presque équivalentes à leur remplacement, lorsque les murs sont isolés, permettant ainsi de concilier performance et préservation complète de la valeur architecturale des façades ; le choix de la nature de l’isolant et la qualité de sa mise en œuvre sont essentiels pour préserver l’équilibre hygrothermique initial des murs anciens.
Surtout, l’étude met en évidence le fait que l’approche de la rénovation énergétique du bâti ancien doit être méthodique, globale et multicritère.

Ces conclusions permettent d’envisager d’introduire des critères qualitatifs dans les aides publiques de soutien à la rénovation énergétique. Cette démarche permettrait de contribuer à la prise en compte de la valeur architecturale du bâti ancien, y compris hors espace protégé.

Les suites directes de la démarche « HAA »

La communication de l’étude a souhaité cibler à la fois les porteurs de projet, les professionnels, les décideurs publics. Pour cela, différents supports de communication ont été élaborés : un petit film grand public réalisé par AQC TV, des fiches pour chaque type de bâti avec les trois scénarios testés, les rapports méthodologiques qui sont accessibles et téléchargeables depuis les sites de la DRAC et de la DREAL. L’étude a été largement diffusée localement ; les fiches ont été envoyées à sept cents partenaires du Grand-Est et les rédacteurs participent régulièrement à des séminaires de sensibilisation des élus et partenaires locaux.

HAA a été présentée aux acteurs institutionnels nationaux, notamment lors de colloques (Plan Bâtiment Durable, Batimat, congrès national du bâtiment durable, les rendez-vous de l’agence qualité construction…).

La DREAL, le Parc naturel régional des Vosges du Nord et energivie.pro ont élaboré une formation d’éco-rénovation du bâti ancien dispensée à l’institut national des sciences appliquées, destinée aux maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et artisans ; les membres de l’étude sont régulièrement invités à présenter l’étude « HAA » au centre des hautes études de Chaillot, tant dans le cursus du diplôme de spécialisation en architecture que dans la formation des architectes et urbanistes de l’État.

Une application directe de la méthode « HAA » a été proposée dans la démarche menée par le Pays du bassin de Briey avec l’Institut national des sciences appliquées (l’INSA) et le Cerema, concernant la réhabilitation d’un parc de quinze mille maisons.

Une démarche avec les artisans locaux soutenant la production de fenêtres avec des profils traditionnels, fabriquées avec du bois issu de circuits courts et produites à faibles coûts, a été initiée par la DRAC, la DREAL, le Parc régional des Vosges du Nord et le Cerema ; en effet, les menuiseries sont souvent le détail sacrifié lors des travaux de rénovation énergétique, l’étude HAA s’est particulièrement penchée sur cette problématique.

La démarche HAA a associé de nombreux acteurs engagés localement dans la rénovation thermique (CAUE, office d’HLM, ordre des architectes, ADEME, Parcs naturels régionaux, collectivités, etc…) afin de valider les conclusions de chaque étape de l’étude ; ce partenariat fructueux se poursuit encore aujourd’hui au travers de la constitution du Cercle-Bâti Ancien animé par la DREAL, qui vise à permettre le partage des expériences développées à l’échelle de la grande région et la mise en réseau des acteurs.

D’autres démarches, pour lesquelles HAA a servi de référence, associent les membres de l’étude

HAA est une étude qui a un ancrage territorial, mais elle a néanmoins été conçue de telle sorte qu’elle puisse servir de méthode reproductible pour d’autres démarches. Ainsi, HAA a servi de référence à l’élaboration de la norme européenne EN16883 “Conservation du patrimoine culturel - Principes directeurs pour l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments d’intérêt patrimonial”, par l’association du Cerema.

Le CREBA, le centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien, est piloté par le Cerema. Ce portail, s’adresse aux professionnels du bâtiment (maîtres d’œuvres, architectes, bureaux d’études, artisans, prescripteurs, techniciens, experts, chercheurs…) et, plus globalement, aux acteurs de tout projet de réhabilitation, de rénovation énergétique ou de restauration d’un bâtiment ancien. Il réunit plusieurs outils pour aider à mettre en œuvre une approche globale de la réhabilitation du bâti ancien. Ce centre de ressources en ligne contient notamment l’étude HAA.

Des membres de l’étude HAA et l’ANABF participent à l’expérimentation de l’élaboration d’un label BBC-Patrimoine avec Effinergie ; ce label s’adresse à tous les bâtiments présentant un caractère patrimonial. Les bâtiments entrant dans la démarche devront à la fois justifier de performances énergétiques (sur la base du label BBC Effinergie rénovation) et de la préservation et/ou mise en valeur du patrimoine bâti. L’évaluation des projets se fera en plusieurs phases, intégrant une validation par une commission d’acteurs de l’énergie et d’experts en architecture et patrimoine, dont l’ANABF. Le but de la démarche est de permettre de faire évoluer les critères d’attribution du label BBC, de façon à ce qu’il respecte davantage le patrimoine, tout en gardant l’exigence de la performance énergétique.

Ces différentes actions montrent que le patrimoine a des atouts en termes de durabilité et peut demeurer attractif face aux défis de la transition énergétique. L’amélioration thermique respectueuse du patrimoine devrait donc être un volet de la politique de revitalisation des petites villes. Elles montrent également que la rénovation énergétique, contrairement aux idées reçues, représente un sujet d’intérêt majeur des ABF. Ces exemples illustrent les capacités techniques des ABF, utiles à l’élaboration des politiques publiques, et leur engagement à mettre en œuvre des démarches partenariales.

Les documents de l’étude HAA sont téléchargeables

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